15 avril 1912 / La destruction du rêve
Le 14 avril, à 18h45 précisément, le steward Henry Samuel Etches frappe à la porte de la cabine de Thomas Andrews, afin de l’aider à revêtir sa tenue pour le dîner. Comme à son habitude, il partage sa table avec le docteur O’Loughlin, le chirurgien du bateau. Ensuite, il se retire dans sa cabine pour travailler sur ses notes et ses plans.
Au moment où le Titanic rentre en collision avec l’iceberg qui va lui être fatal, il s’y trouve toujours et, comme la majeure partie des passagers, il ne ressent absolument rien. Ce n’est que quelques minutes plus tard, lorsqu’on frappe à sa porte pour lui demander de rejoindre le capitaine Smith sur la passerelle, qu’il comprend qu’il y a un problème avec le navire.
Après le naufrage, le steward James Johnson racontera l’avoir vu s’entretenir avec ce dernier, avant qu’ils ne partent tout deux inspecter l’avant du Titanic. Bien que d’autres officiers se soient précédemment rendus dans les soutes pour s’informer de la situation, les deux hommes décident en effet de descendre aux ponts inférieurs afin d’observer par eux-mêmes l’étendue des dégâts. Empruntant les passages réservés à l’équipage pour ne pas attirer l’attention des passagers, ils prennent alors conscience de la gravité de la situation : les six premiers compartiments étanches sont déjà inondés, ce qui ne laisse aucune chance de survie au paquebot.
De retour dans sa cabine avec le capitaine, Andrews fait le point avec lui sur les dommages de la coque, puis il calcule rapidement que le Titanic ne pourra pas rester à flot plus d’une heure ou deux. Il n’a pas besoin de rajouter un mot de plus, ni de préciser que les canots de sauvetage ne peuvent contenir que la moitié des personnes embarquées… Smith a déjà tout compris. De retour sur la passerelle, il donne l’ordre à ses officiers de se préparer à abandonner le navire, avant de demander aux opérateurs radio, Jack Phillips et Harold Bride, d’émettre un signal de détresse.
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Le géant blessé, ou l’agonie d’un Titan
Au cours des 2h40 que le Titanic met à couler, Thomas Andrews participe activement aux manœuvres d’évacuation, pour essayer de sauver le maximum de vies possible. On le voit parcourir inlassablement les coursives à la recherche de passagers récalcitrants à l’idée de monter dans les canots de sauvetage, frappant aux portes de toutes les cabines devant lesquelles il passe : « Mesdames, vous devez embarquer immédiatement ! » crie-t-il tout en se déplaçant d’une embarcation à l’autre.
Sans relâche, il encourage les passagers à porter leurs gilets de sauvetage et à monter le plus rapidement possible vers le pont supérieur. Etant donné qu’il est l’une des seules personnes à bord à savoir de quoi retourne vraiment la situation, il doit faire preuve de beaucoup de persuasion afin de convaincre les passagers. Mary Sloan, femme de chambre et compatriote de Thomas Andrews, rapportera plus tard les propos qu’il lui a tenu alors qu’elle refusait de monter à bord d’un canot de sauvetage : «Vous ne pouvez pas choisir le canot dans lequel vous allez embarquer. Ne réfléchissez pas, allez-y… Montez ! »
Un peu plus tôt, il a aussi reproché à une autre femme de chambre, Annie Robinson, de ne pas avoir mis son gilet de sauvetage :
« - Je croyais vous avoir dit de prendre votre gilet, lui dit-il d’un ton contrarié.
- Oui, répondit-elle, mais je ne pensais pas que ça voulait dire de le mettre.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire. Mettez-le, marchez avec, laissez les passagers vous voir.
- Mais ils ne comprendront pas.
- Non, mettez-le… Si vous tenez à la vie, mettez-le ! »
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Après que tous les canots aient été mis à la mer, il disparaît du pont supérieur. Vers 2h10 du matin, John Stewart, un membre d’équipage qui se dirige vers l’arrière du navire, est le dernier à voir Thomas Andrews en vie, en état de choc dans le fumoir de première classe, en train de fixer le tableau de Norman Wilkinson L’approche du port de Plymouth, tout en s’accrochant dignement à la cheminée en marbre du salon. Il s’arrête quelques instants pour lui demander : « Vous ne voulez même pas tenter votre chance, M. Andrews ? » Mais il ne lui a pas répondu et ses yeux sont restés fixés sur la toile, son gilet de sauvetage posé sur une table…
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Vision cinématographique : les derniers instants de
Thomas Andrews dans le fumoir de première classe (en bas)
A quoi a-t-il bien pu songer au cours de ses derniers instants ? A-t-il prié, pensé à sa famille et à sa petite fille, qu’il ne reverrait plus ? S’est-il senti coupable ? Probablement, même si nous ne le saurons jamais avec certitude. Mais en tout cas, si une chose est certaine et ne peut être remise en question, c’est qu’il s’est comporté au cours des dernières heures de son existence comme il l’avait toujours fait : en pensant uniquement aux autres.
Finalement, à 2h20 du matin le 15 avril 1912, le Titanic sombre définitivement, entraînant avec lui plus de 1 500 personnes… Personne n’a plus jamais revu Thomas Andrews et son corps, probablement emporté avec le navire dans les profondeurs de l’Atlantique, n’a jamais été retrouvé.
Ses assistants, les membres du Groupe de Garantie, ont travaillé eux aussi jusqu’aux derniers instants avec l’équipage, afin de maintenir en état de marche l’énergie et la lumière le plus longtemps possible. Aucun d’eux n’a survécu au naufrage.