Cette biographie est une version complétée et corrigée d'un article paru dans le numéro 24 de "Latitude 41" (hiver 2005), le bulletin de l'Association Française du Titanic.
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­­Ma fascination pour Thomas Andrews est née à peu près dès que j’ai commencé à m’intéresser à la tragique histoire du Titanic, mais c’est l’interprétation de Victor Garber dans le film de James Cameron, qui me fit percevoir la vrai personnalité de cet homme ainsi que son importance dans l’histoire du célèbre navire.

Directeur des chantiers navals Harland & Wolff, il a été à ce titre le concepteur et le constructeur du plus grand paquebot du monde, qui devait également devenir le plus légendaire. Trop souvent, les films sur le Titanic ont donné de lui une image d’homme froid, désorienté et peut-être même insensible face au drame survenu dans la nuit du 14 au 15 avril 1912.

En réalité, Thomas Andrews s’est comporté en véritable héros lors du naufrage, et a permis à beaucoup de gens de survivre à une catastrophe dont il se sentait en grande partie responsable. Par conséquent, mon objectif est de rétablir ici la vérité sur cet homme exceptionnel, et surtout de lui rendre hommage.
1873-1889 / Les années de jeunesse

Thomas Andrews junior est né le 7 février 1873 en Irlande du nord. Ardara House, la demeure familiale qui le voit naître, est située dans la petite ville de Comber, dans le comté de Down, au sud-est de Belfast. Ses parents, Thomas et Eliza Andrews, sont alors mariés depuis 1870 et ont déjà un premier fils du nom de John, né l’année suivante – suivront deux autres frères, James en 1877 et William en 1886, ainsi qu’une sœur, Eliza Montgomery Andrews, née en 1874.

Ardara House, résidence de la famille Andrews

Son père, fidèle à la tradition familiale, est très impliqué dans la vie locale et a embrassé une carrière politique, tout en occupant le poste de président de la société John Andrews & Company, spécialisée dans le tissage du lin.

Sa mère est quant à elle la sœur de Lord William James Pirrie, le président et principal actionnaire des très réputés chantiers navals Harland & Wolff de Belfast. Comme son neveu bien des années après lui, Lord Pirrie a commencé sa carrière dans les chantiers comme apprenti, avant de devenir directeur à l’âge de 27 ans. Distingué par un premier titre de Baron en 1906, il deviendra Vicomte en 1921 mais, en l’absence de descendance, son titre disparaîtra après sa mort.

Thomas Andrews est donc issu d’un milieu particulièrement aisé et compte parmi ses proches nombre de personnalités. L’un de ses oncles est par ailleurs juge à la Cour Suprême et John, son frère aîné, deviendra Premier ministre d’Irlande du nord entre 1940 et 1945. Cependant, la politique n’est pas du tout un sujet de préoccupation pour lui et, dès son plus jeune âge, il est attiré par les bateaux, ce qui lui vaut d’être surnommé « l’Amiral » par ses frères et ses camarades d’enfance.

La famille Andrews au grand complet (à l’avant :
Eliza, William et Thomas junior ; au second plan :
James, Thomas senior, Eliza Montgomery et John)

La famille Andrews, dont la devise est « Always faithful » (ce qui peut se traduire par « Toujours fidèle »), a l’habitude de fréquenter l’église remonstrante de Comber qui, au cours de l’enfance de Thomas Andrews, est le théâtre d’une scène particulièrement cocasse, et sûrement très touchante. En effet, lors d’une journée de charité au cours de laquelle des chatons sont mis en vente, l’un d’eux s’échappe pour aller trouver refuge dans un recoin inaccessible. Seul le jeune Thomas réussit à le récupérer à force de patience et, pour le récompenser, on lui fait cadeau du petit chat en question.

L’usine de la John Andrews & Company

Le cottage de l’île de Braddock

Pendant leur enfance, les fils Andrews pratiquent nombre d’activités, dont font partie l’équitation, l’apiculture et les régates. Celles-ci ont généralement lieu sur le lac Strangford, non loin de Comber, les Andrews possédant un cottage sur l’île de Braddock.

Le cricket occupe aussi une grande place dans la vie de la famille, qui est membre et fondatrice du North Down Cricket Club. C’est d’ailleurs elle qui a fait don du terrain utilisé aujourd’hui encore par le club de la ville. Une année, Thomas remet également avec son frère John un trophée pour le meilleur joueur de l’équipe. Plus tard, alors qu’il travaillera pour Harland & Wolff, il intégrera l’équipe de cricket de la société, ce qui l’amènera à disputer un match contre le North Down Cricket Club. Bien sûr, lorsque ce sera son tour de jouer, il évitera autant que possible de marquer contre l’équipe dont il est dirigeant…
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L’équipe du North Down Cricket Club en 1895­­
(Thomas Andrews est assis par terre,
le troisième en partant de la gauche)

Elevé par un précepteur jusqu’à l’âge de 11 ans, Thomas Andrews, surnommé Tommie par ses proches, quitte ses parents en 1884, comme le prescrivent les usages de l’époque. Il intègre alors la prestigieuse Royal Belfast Academical Institution, où il doit suivre ses études.
1889-1907 / L’ascension professionnelle

En septembre 1889, alors qu’il est âgé de seulement 16 ans, mais impatient de vivre de sa passion pour les bateaux, Thomas Andrews quitte l’école pour commencer à travailler chez Harland & Wolff en qualité d’apprenti. Pour lui offrir la garantie d’un emploi stable à la fin de son apprentissage, ses parents versent à l’entreprise la somme de 100 £ (21 000 £ actuelles, soit environ 32 000 €). Pour se faire une idée de l’importance de cette somme, il suffit de penser que les ouvriers les plus qualifiés de Harland & Wolff touchent seulement 5 £ par semaine, ce qui est bien payé…

Malgré son lien de parenté avec le président de la société, le jeune Thomas ne bénéficie d’aucun favoritisme et doit faire ses preuves avant de gravir les échelons de la hiérarchie. Comme apprenti, il touche donc à tous les secteurs de la construction navale, ce qui lui permet d’acquérir de vastes connaissances. Ainsi, il travaille trois mois comme assembleur, un mois comme ébéniste, deux dans les entrepôts et cinq mois comme ouvrier constructeur. Ensuite, il passe encore deux mois à la fabrication de moules pour différentes pièces, deux avec les peintres, huit à la fabrication du métal, six avec les monteurs d’équipements, trois avec les dessinateurs et finalement huit avec les forgerons. Enfin, il passe les derniers dix-huit mois de son apprentissage avec les architectes, dans les bureaux de conception.
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Portraits de Thomas Andrews à des âges différents
Perfectionniste dans l’âme, Thomas Andrews travaille extrêmement dur au cours des longs mois de son apprentissage, ce qui lui vaudra plus tard la reconnaissance et le respect de ses confrères, ainsi que ceux des employés placés sous son autorité. Mais pour l’heure, il fait preuve d’une extraordinaire motivation, toujours prêt à donner de son temps et à rendre service, ce qui lui permet d’élargir chaque jour son horizon professionnel.

De plus, il continue très certainement à suivre des cours du soir à l’université pendant toute cette période, afin d’étudier les matières indispensables à l’exercice de sa future profession, notamment le dessin et les mathématiques.


Photographie de Thomas Andrews avec d’autres ouvriers
de Harland & Wolff (le deuxième en partant de la droite)


L’une des salles de dessins où furent
notamment dressés les plans du Titanic

A force de travail, il est finalement nommé directeur des travaux de construction en 1901. La même année, il est officiellement établi dans ses fonctions en devenant membre de l’Institution of Naval Architects, honneur particulièrement remarquable (et remarqué) pour un jeune homme de tout juste 28 ans…

C’est aussi à ce moment-là qu’il commence à se fait connaître en supervisant les réparations du paquebot Suevic, de la White Star Line, mais surtout en travaillant à la construction des Big Four de la compagnie : le Celtic, le Cedric, le Baltic et l’Adriatic.

A cette époque, il a déjà acquis une belle carrure physique et mesure environ 1,80 mètre. Une anecdote raconte que lorsqu’un jour, sur un chantier, un rivet rouge et brûlant tombe en frôlant sa tête depuis un échafaudage, il se contente de donner un coup de pied dedans en riant. Mais il développe également une grande réputation d’intégrité, comme en témoignera par la suite l’un de ses collaborateurs : « S’il n’était pas suffisamment documenté, il était très difficile de le convaincre de quelque chose. »
1907-1912 / « Les années Titanic »
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L’année 1907 voit naître le gigantesque projet de construction des trois paquebots de la classe Olympic, commandés par le président de la White Star Line, Joseph Bruce Ismay. La conception et la réalisation de ces trois transatlantiques géants, baptisés Olympic, Titanic et Gigantic, sont alors confiées à Thomas Andrews, qui comprend rapidement que ces trois paquebots représenteront le couronnement de sa carrière.

Les plans des deux premiers sister-ships, l’Olympic et le Titanic, sont exécutés par les ingénieurs de Harland & Wolff, sous la direction de Alexander Montgomery Carlisle, beau-frère de Lord Pirrie, directeur général des chantiers et responsable des aménagements et des dispositifs de sauvetage. Thomas Andrews le seconde d’abord comme chef dessinateur et architecte naval, mais Carlisle prenant sa retraite en 1910, Andrews est rapidement propulsé au poste de directeur général, ce qui fait de lui le successeur désigné de Lord Pirrie à la tête de l’entreprise.

Les premiers plans, soumis à Bruce Ismay, sont approuvés en juillet 1908. Dans la foulée, l’Olympic est mis en chantier au mois de décembre, suivi par le Titanic en mars de l’année suivante.

Cependant, l’année 1908 apporte aussi un bouleversement dans la vie privée de Thomas Andrews. En effet, le 24 juin, il épouse Helen Reilly Barbour, fille d’un administrateur de Harland & Wolff. Peu de temps après, ils s’installent à Dunallan, au numéro 12 de la Winslow Avenue, à proximité immédiate des chantiers.

Deux ans plus tard, le 27 novembre 1910, Helen donne naissance à une petite fille du nom d’Elizabeth Law Barbour Andrews, que ses parents surnomment rapidement Elba, à cause de ses initiales. Quelques semaines avant son accouchement, Andrews a emmené son épouse effectuer une visite nocturne du Titanic afin d’observer la comète de Halley – elle sera à sa proximité maximale de la Terre juste après la collision du Titanic avec l’iceberg, puis elle réapparaîtra en 1986, un an après la découverte de l’épave du navire…

Sur le journal intime de Helen Andrews figure un passage montrant l’affection que son mari porte aux hommes qui travaillent avec lui : « Un soir, alors que mon mari et moi nous trouvions dans les environs de Queen’s Island, nous avons remarqué une longue file d’hommes qui rentraient chez eux après le travail. Il s’est tourné vers moi et a dit : “Ce sont mes camarades, Helen.” Je n’ai jamais pu oublier le ton de sa voix lorsqu’il m’a dit cela, c’était comme si ces hommes lui étaient aussi chers que des frères. Plus tard, dans une occasion similaire, je lui ai rappelé ses paroles et il me répondit “Oui, ce sont vraiment mes camarades.” »


Le couple Andrews le jour de leur mariage
et devant leur maison de Belfast, avec leur fille Elizabeth
En 1910, Andrews a justement l’occasion de secourir l’un de ses camarades. Il s’agit d’Anthony Frost, plus connu sous le surnom d’Archie, qui a grimpé sur un échafaudage de 25 mètres de haut afin de sécuriser des planches en bois, alors que le vent souffle extrêmement fort. Au cours de la manœuvre, celui-ci est subitement pris d’angoisse et Andrews doit lui-même monter sur l’échafaudage pour fixer les planches et l’aider à redescendre.
Archie Frost est notamment l’un des membres du Groupe de Garantie de Harland & Wolff, supervisé par Thomas Andrews. Ce comité, qui regroupe neuf ingénieurs* spécialisés chacun dans un secteur précis de l’architecture navale, se trouve à bord de chacun des nouveaux paquebots construits par la firme lors de leurs voyages inauguraux, dans le but d’observer les manœuvres de l’équipage, de résoudre les problèmes éventuels et de recommander des améliorations sur les vaisseaux en construction. Andrews a ainsi accompli trois voyages, à bord de l’Adriatic, de l’Oceanic et de l’Olympic. Il doit également effectuer celui du Titanic, prévu au début de l’année 1912.


La construction du Titanic
Avril 1912 / La consécration
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Fin mars 1912, alors que l’Olympic est déjà en service, les travaux d’aménagements du Titanic touchent à leur fin. Les essais en mer du paquebot, prévus pour le 1er avril, sont finalement reportés au lendemain pour cause de mauvais temps. Le 2 avril, le Titanic quitte donc son quai pour sa première sortie en mer.

Evidemment, Thomas Andrews se trouve à bord avec toute son équipe technique et, à la fin de la journée, lorsque le bateau retourne à Belfast pour débarquer les passagers ne voyageant pas jusqu’à Southampton, il reste à bord pour accompagner le Titanic. Sans le savoir, c’est la dernière fois qu’il voit la ville de Belfast. Le matin même, il a dit au revoir à son épouse et sa fille de deux ans, qu’il ne doit pas retrouver avant au moins un mois, le temps d’accomplir la traversée aller-retour jusqu’à New York.

Quand le Titanic arrive à Southampton le lendemain, il lui reste tout juste une semaine avant d’entamer son premier voyage. Une atmosphère de frénésie s’installe donc dans les coursives rutilantes du navire car, bien que la construction et l’aménagement général aient été achevés avant son départ de Belfast, quelques finitions restent encore à terminer, comme par exemple les dorures sur métal, réalisées par une équipe française de Besançon.

De plus, des tonnes de marchandises doivent encore être chargées dans les cales, alors que l’équipage a pour mission de se familiariser avec les installations innovantes du Titanic et de s’adresser aux membres du Groupe de Garantie en cas de difficulté. Jusqu’au 10 avril, la principale occupation de Thomas Andrews est donc de superviser les travaux de finitions et de former l’équipage. Pendant ces quelques jours passés à Southampton, il assiste certainement à de nombreuses réunions avec son équipe, avec les officiers du Titanic ou les dirigeants de la White Star Line.

C’est d’ailleurs lors d’une réunion de ce type avec Bruce Ismay, avant la construction du navire, qu’il a eu la fâcheuse idée de d’expliquer que ses compartiments étanches allaient rendre le Titanic « pratiquement insubmersible ». Plus tard, cette phrase a été reprise à des fins publicitaires par le président de la White Star Line, qui a omis le « pratiquement », créant le mythe de l’insubmersibilité du paquebot. Il faut pourtant remarquer que le constructeur du Titanic n’a jamais prétendu que celui-ci ne pouvait pas couler.

Dans sa dernière lettre à sa femme, Thomas Andrews exprime sa satisfaction vis-à-vis du nouveau navire : « Le Titanic est maintenant presque terminé et je pense que la réputation de la firme va être assuré après cette traversée. » Malgré tout, après le 10 avril, jour du départ du paquebot, il a conscience que sa tâche n’est pas encore achevée. Pendant la traversée vers New York, il continue à aider les membres d’équipage à se familiariser avec leur nouveau support de travail, tout en sillonnant le bateau, un carnet de notes à la main, à la recherche de la moindre imperfection qui aurait pu lui échapper auparavant.

Il remarque ainsi que le mobilier d’osier des ponts couverts doit être repeint en vert, que les parois des ponts promenades privatifs doivent être éclaircies et que les dimensions du salon de lecture pourront être réduites pour faire place à des cabines de première classe supplémentaires. Toutes ces modifications doivent être effectuées ultérieurement sur le paquebot lui-même, à la faveur de travaux d’entretiens, mais également sur le dernier né de la classe Olympic, le Gigantic, qui vient d’être mis en chantier.
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Le Titanic quittant Belfast (en haut) pour Southampton

La cabine de première classe qu’il occupe pour ce voyage, la numéro A-36, est l’un des ajouts de dernière minute qu’il a demandés. Cette cabine ne figure d’ailleurs pas sur les plans promotionnels du navire réalisés au mois de janvier 1912. Elle a été ajoutée, avec la cabine A-37, au moment où le pont promenade a été équipé de baies vitrées. En effet, lors de son voyage à bord de l’Olympic, Andrews avait remarqué que les passagers étaient incommodés par les embruns lorsqu’ils se trouvaient sur le pont A. Il a donc pris la décision de les faire fermer par des fenêtres.

Cependant, malgré toutes ces petites imperfections, que son œil seul est habilité à remarquer, Andrews déclare à un passager pendant la journée du 14 avril que le Titanic est « aussi parfait qu’un cerveau humain puisse l’imaginer. »

Violet Constance Jessop, femme de chambre d’origine irlandaise et visiblement admiratrice de la personnalité de Thomas Andrews, nous a laissé un témoignage sur son comportement au cours du voyage : « Pendant notre service, nous rencontrions souvent notre architecte bien-aimé, qui circulait discrètement, le visage fatigué mais l'air satisfait. Il ne manquait jamais de s'arrêter pour dire un mot joyeux, son seul regret étant que “nous ne cessions de nous éloigner de chez nous.” Nous connaissions tous l'amour qu'il avait pour cette maison irlandaise qui était la sienne et soupçonnions qu'il était impatient de retrouver la paix de son atmosphère pour un repos bien mérité et oublier la conception des navires pendant quelque temps. »
15 avril 1912 / La destruction du rêve

Le 14 avril, à 18h45 précisément, le steward Henry Samuel Etches frappe à la porte de la cabine de Thomas Andrews, afin de l’aider à revêtir sa tenue pour le dîner. Comme à son habitude, il partage sa table avec le docteur O’Loughlin, le chirurgien du bateau. Ensuite, il se retire dans sa cabine pour travailler sur ses notes et ses plans.

Au moment où le Titanic rentre en collision avec l’iceberg qui va lui être fatal, il s’y trouve toujours et, comme la majeure partie des passagers, il ne ressent absolument rien. Ce n’est que quelques minutes plus tard, lorsqu’on frappe à sa porte pour lui demander de rejoindre le capitaine Smith sur la passerelle, qu’il comprend qu’il y a un problème avec le navire.

Après le naufrage, le steward James Johnson racontera l’avoir vu s’entretenir avec ce dernier, avant qu’ils ne partent tout deux inspecter l’avant du Titanic. Bien que d’autres officiers se soient précédemment rendus dans les soutes pour s’informer de la situation, les deux hommes décident en effet de descendre aux ponts inférieurs afin d’observer par eux-mêmes l’étendue des dégâts. Empruntant les passages réservés à l’équipage pour ne pas attirer l’attention des passagers, ils prennent alors conscience de la gravité de la situation : les six premiers compartiments étanches sont déjà inondés, ce qui ne laisse aucune chance de survie au paquebot.

De retour dans sa cabine avec le capitaine, Andrews fait le point avec lui sur les dommages de la coque, puis il calcule rapidement que le Titanic ne pourra pas rester à flot plus d’une heure ou deux. Il n’a pas besoin de rajouter un mot de plus, ni de préciser que les canots de sauvetage ne peuvent contenir que la moitié des personnes embarquées… Smith a déjà tout compris. De retour sur la passerelle, il donne l’ordre à ses officiers de se préparer à abandonner le navire, avant de demander aux opérateurs radio, Jack Phillips et Harold Bride, d’émettre un signal de détresse.
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Le géant blessé, ou l’agonie d’un Titan

Au cours des 2h40 que le Titanic met à couler, Thomas Andrews participe activement aux manœuvres d’évacuation, pour essayer de sauver le maximum de vies possible. On le voit parcourir inlassablement les coursives à la recherche de passagers récalcitrants à l’idée de monter dans les canots de sauvetage, frappant aux portes de toutes les cabines devant lesquelles il passe : « Mesdames, vous devez embarquer immédiatement ! » crie-t-il tout en se déplaçant d’une embarcation à l’autre.

Sans relâche, il encourage les passagers à porter leurs gilets de sauvetage et à monter le plus rapidement possible vers le pont supérieur. Etant donné qu’il est l’une des seules personnes à bord à savoir de quoi retourne vraiment la situation, il doit faire preuve de beaucoup de persuasion afin de convaincre les passagers. Mary Sloan, femme de chambre et compatriote de Thomas Andrews, rapportera plus tard les propos qu’il lui a tenu alors qu’elle refusait de monter à bord d’un canot de sauvetage : «Vous ne pouvez pas choisir le canot dans lequel vous allez embarquer. Ne réfléchissez pas, allez-y… Montez ! »

Un peu plus tôt, il a aussi reproché à une autre femme de chambre, Annie Robinson, de ne pas avoir mis son gilet de sauvetage :
« - Je croyais vous avoir dit de prendre votre gilet, lui dit-il d’un ton contrarié.
- Oui, répondit-elle, mais je ne pensais pas que ça voulait dire de le mettre.
- Ce n’est pas ce que je voulais dire. Mettez-le, marchez avec, laissez les passagers vous voir.
- Mais ils ne comprendront pas.
- Non, mettez-le… Si vous tenez à la vie, mettez-le ! »

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Après que tous les canots aient été mis à la mer, il disparaît du pont supérieur. Vers 2h10 du matin, John Stewart, un membre d’équipage qui se dirige vers l’arrière du navire, est le dernier à voir Thomas Andrews en vie, en état de choc dans le fumoir de première classe, en train de fixer le tableau de Norman Wilkinson L’approche du port de Plymouth, tout en s’accrochant dignement à la cheminée en marbre du salon. Il s’arrête quelques instants pour lui demander : « Vous ne voulez même pas tenter votre chance, M. Andrews ? » Mais il ne lui a pas répondu et ses yeux sont restés fixés sur la toile, son gilet de sauvetage posé sur une table…
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Vision cinématographique : les derniers instants de
Thomas Andrews dans le fumoir de première classe (en bas)

A quoi a-t-il bien pu songer au cours de ses derniers instants ? A-t-il prié, pensé à sa famille et à sa petite fille, qu’il ne reverrait plus ? S’est-il senti coupable ? Probablement, même si nous ne le saurons jamais avec certitude. Mais en tout cas, si une chose est certaine et ne peut être remise en question, c’est qu’il s’est comporté au cours des dernières heures de son existence comme il l’avait toujours fait : en pensant uniquement aux autres.

Finalement, à 2h20 du matin le 15 avril 1912, le Titanic sombre définitivement, entraînant avec lui plus de 1 500 personnes… Personne n’a plus jamais revu Thomas Andrews et son corps, probablement emporté avec le navire dans les profondeurs de l’Atlantique, n’a jamais été retrouvé.

Ses assistants, les membres du Groupe de Garantie, ont travaillé eux aussi jusqu’aux derniers instants avec l’équipage, afin de maintenir en état de marche l’énergie et la lumière le plus longtemps possible. Aucun d’eux n’a survécu au naufrage.

Postface

Le 19 avril, le père de Thomas Andrews reçoit un télégramme du cousin de sa mère, James Montgomery, qui a pu interroger les survivants du Titanic lors de leur arrivée à New York. Le message, lu par M. Andrews à tous les domestiques de sa résidence de Comber, peut se traduire ainsi : « Ai interrogé les officiers du Titanic. Tous d’accord que Thomas fut héroïque face à la mort, préoccupé uniquement par la sécurité des autres. Douloureuses pensées pour vous. »

Thomas Andrews laisse à son épouse une somme de 10 615 £ et 11 shillings, ce qui est alors une somme considérable. Plus tard, Helen Andrews se remariera avec Henry Pierson Harland, mais elle n’aura jamais d’enfant de ce second mariage et mourra en Angleterre en 1966.

Quant à Elizabeth, elle est trop jeune au moment du décès de son père pour en garder le moindre souvenir. De source non confirmée, elle aurait vécu plus tard au Kenya, où elle aurait travaillé dans l’organisation de safaris, avant de mourir dans un accident d’automobile.

Pour tous les habitants de Comber, pour ses collègues des chantiers Harland & Wolff et surtout pour sa famille, la confirmation de la mort d’Andrews est vécue comme un énorme choc, et ils décident très rapidement de construire un mémorial pour honorer sa mémoire : le Thomas Andrews junior Memorial Hall, qui est aujourd’hui l’annexe de l’école de Comber.
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Le Thomas Andrews junior Memorial Hall

L’inauguration d’une plaque commémorative sur sa maison de Dunallan

De nombreux articles vantant l’héroïsme et la bravoure de Thomas Andrews sont également publiés après la catastrophe et une courte biographie est présentée par Shan Bullock devant la commission de Sir Horace Plunkett, chargé de démontrer que sa vie avait été digne d’être honorée par la construction d’un mémorial. Aujourd’hui, j’espère que la réponse à cette question ne fait plus aucun doute.
* Composition du Groupe de Garantie

Ingénieurs ou apprentis des chantiers Harland & Wolff, les neuf membres du Groupe de Garantie avaient été sélectionnés en fonction de leurs compétences et motivations.

Voyageant en première classe :
- Thomas ANDREWS (39 ans), directeur général des chantiers et architecte naval, responsable du Groupe de Garantie.
- Roderick Robert Crispin CHISHOLM (40 ans), dessinateur et bras droit de Thomas Andrews (c'est lui qui avait conçu les canots de sauvetage du Titanic).
- William Henry Marsh PARR (29 ans), assistant du responsable du département électrique.

Voyageant en deuxième classe :
- William Henry CAMPBELL (21 ans), apprenti menuisier.
- Alfred Fleming CUNNINGHAM (21 ans), apprenti installateur.
- Anthony Wood FROST (37 ans), contremaître.
- Robert J. KNIGHT (39 ans), contremaître.
- Francis PARKES (18 ans), apprenti plombier.
- Ennis Hastings WATSON (15 ans), apprenti électricien.